Monsieur le Directeur général de l’Organisation internationale du Travail,
Madame la Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion,
Mesdames et messieurs,
Chers participants,
Comme nous le savons, la COVID a impacté le monde. En prenant la mesure du choc économique généré par la crise sanitaire, nous reconnaissons ensemble, ici, en cette journée mondiale contre le travail des enfants, l’urgence de la situation. Je prends la parole aujourd’hui pour porter la voix des enfants de mon île, de mon pays : Madagascar. Madagascar n’a pas été épargnée par la pandémie. Même si le pays n’accepte pas de mettre ses enfants et leur avenir en péril, ce fléau a une incidence très grave sur les populations déjà fragilisées. Cette année 2021 a été déclarée par l’Assemblée générale des Nations unies : « Année internationale de l’élimination du travail des enfants ».
J’aimerais vous parler d’une petite fille de 11 ans, Sahouly. Sahouly, 11 ans, travaillait comme domestique à des centaines de kilomètres de chez elle, pour subvenir aux besoins financiers de sa famille. Sahouly, 11 ans, a été violée par son employeur pendant son sommeil. Sahouly, petite fille de 11 ans, a subi des sévices sexuels, psychologiques, physiques en prenant la responsabilité financière, des adultes, de ses parents, de notre société.
Il était de notre responsabilité à tous, de prendre soin d’elle, de son innocence, pour qu’elle vive l’insouciance de son âge. 10 ans ont passé depuis que j’ai rencontré Sahouly. Combien de Sahouly survivent dans le monde ? Particulièrement à Madagascar ?
Parfois je suis découragée par les chiffres : plus de 152 millions d’enfants de par le monde, dont la plus grande proportion se situe en Afrique sub-saharienne, sont encore touchés et astreints à des travaux dangereux. Plus inquiétant encore, le Bureau international du Travail estime que près de 22 000 enfants sont tués au travail chaque année. C’est un signal d’alarme que nous ne pouvons ignorer.
En raison d’une pauvreté extrême, des millions d’enfants quittent l’école et travaillent pour combler le manque de revenus. Pour des millions d’enfants, le risque d’exploitation, voire d’esclavage, est réel. Parfois je suis découragée par ces constats. Alors pour me redonner de l’espoir, je tourne mon regard sur tout ce qui a été fait.
Et pour cela, je tiens à remercier l’Organisation Internationale du Travail, qui depuis 100 ans n’a eu de cesse de s’engager dans la lutte contre le travail des enfants. En 2020, après sa ratification par les pays membres signataires, la Convention n° 182 de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants, est désormais d’application universelle.
Elle oblige les États membres à réaliser en priorité des programmes d’action, afin d’éliminer les pires formes de travail des enfants. Grâce aux efforts fournis par la communauté internationale, les gouvernements et tous les acteurs concernés, le travail des enfants a baissé de 38% ces dix dernières années, ce qui correspond à près de 100 millions d’enfants qui ont retrouvé leur dignité.
Agir maintenant, mettre fin au travail des enfants, est le thème de cette année 2021. Un sujet fort qui appelle à l’action, qui demande à s’engager davantage dans cette lutte. Madagascar s’est investie dans cette voie avec les différentes forces vives de la Nation, les organes étatiques, la société civile, les partenaires techniques et financiers.
La ratification de la convention n°138, qui exige un âge minimum d’admission à l’emploi, a donné lieu à une alliance qui engage les parties prenantes, privées comme publiques, à coopérer pour trouver des solutions à ce fléau.
Pour répondre efficacement à ces nouveaux défis, notre pays a inscrit la lutte contre le travail des enfants au rang de ses priorités nationales. Cette cause, « pour un emploi décent pour tous », figure dans l’objectif n°6 du Plan d’Émergence de Madagascar. Elle a engendré un plan d’action national de lutte contre le travail des enfants dans les mines de Mica. Une démarche similaire est envisagée dans le secteur de la vanille.
Des mesures d’accompagnement sont mises en place pour que des dispositifs de protection des droits de l’enfant soient opérationnels, tel que le Comité National de lutte contre le travail des enfants et ses antennes régionales.
Des conventions ont été ratifiées, des textes ont été promulgués, des actions ont été faites, mais les résultats sont encore bien loin de ceux escomptés. 22,1% d’enfants malagasy sont privés de leur enfance, de leur potentiel, de leur dignité́. Ils sont dans la rue, dans les champs, dans les mines, dans des carrières, prostitués ou abusés par des prédateurs comme notre petite Sahouly.
L’école n’est malheureusement pas une priorité́ pour les parents défavorisés. C’est pourquoi depuis 2020 l’inscription dans les écoles publiques de Madagascar est devenue gratuite, donnant ainsi l’accès à l’instruction aux plus démunis.
La construction aux normes, d’écoles publiques dans les 119 districts est à ce jour à un stade avancé. Le soutien aux plus défavorisés et l’éradication de la pauvreté́ sont notre priorité. Cependant la situation de Madagascar reste complexe.
Je suis effrayée de constater que la situation du travail des enfants n’évolue pas assez vite. Des us et coutumes, certaines croyances et traditions archaïques, cercle vicieux transmit de génération en génération, pèse encore trop l’éducation des enfants et surtout des petites filles.
Dans plusieurs régions de Madagascar, les familles sont composées d’au moins 6 enfants. Ces cellules familiales sont souvent à la charge unique de la mère car le père a fréquemment délaissé le foyer. Le planning familial s’active sur le terrain pour sensibiliser les femmes comme les hommes au nombre des naissances qui peuvent impacter leur avenir et celui de leurs enfants. En nous apportant leur expertise en matière de prévention, certains organismes ont pris en charge le suivi médical de la mère et de l’enfant.
D’autres actions sont menées dans le cadre du projet AVOTSE qui œuvre vers les plus vulnérables du sud de Madagascar, victimes de la sècheresse et de la malnutrition. 20 villages seront prochainement dotés d’activités génératrices de revenus, principalement dans les activités agricoles. Des cantines scolaires gratuites encouragent déjà les parents à scolariser leurs enfants afin de les nourrir dignement plutôt que de les faire travailler. C’est une belle initiative qui ne peut s’arrêter là. J’aspire à la voir se développer dans tout le pays.
De la même manière, l’association Fitia s’active aussi à la construction d’une usine agro-alimentaire, qui va donner majoritairement des emplois aux femmes, aux mères, pour que leurs enfants soient scolarisés. Cette usine va fabriquer des produits nutritionnels qui seront distribués gratuitement dans les écoles.
Les études sur le terrain démontrent que la seule manière d’éradiquer le travail des enfants, est de sensibiliser les parents, de les éduquer, de communiquer avec eux de façon pédagogique. Il faut démontrer activement aux parents, mais aussi aux chefs de tribus, aux employeurs potentiels, à tous les adultes, que la protection des enfants et de leur innocence est une responsabilité partagée.
L’instruction des enfants et des parents est l’une des clefs pour sortir de la pauvreté. Certes, ce combat demande du temps. Mais nous devons agir maintenant, et multiplier nos actions dès à présent. Ce n’est pas le moment de nous démobiliser, même si les conséquences de la situation sanitaire rendent la tâche plus problématique.
Je terminerai ici en m’adressant aux pays membres de l’Alliance 8.7 : Poursuivons nos efforts pour la protection des enfants. Ensemble, nous pouvons atteindre notre objectif commun : « Éliminer le travail des enfants d’ici 2025 ». Soyons les artisans d’un monde où les enfants pourront librement étudier, se divertir et grandir dans un environnement exempt de souffrances et de contraintes.
J’aimerais remercier tout particulièrement le Gouvernement français pour l’accueil de cet événement, pour son leadership, ses efforts dans le cadre du partenariat mondial de l’Alliance 8.7, pour la lutte contre le travail forcé, l’esclavage moderne, la traite des êtres humains et le travail des enfants.
Toutes mes pensées vont à Sahouly pour son témoignage qui nous permet de prendre conscience de la réalité du travail des enfants. J’aimerais lui transmettre, ainsi qu’à tous les enfants de mon pays et du monde, cette phrase qui rappelle aux adultes la bienveillance : « Mon corps est à moi il n’est pas à toi, de la tête aux pieds tu me dois le respect ».
Je vous remercie de votre attention.
Mialy R. Rajoelina